Madagascar 

 “Une gouvernance criminelle” dixit Juvence Ramasy

0
“Une gouvernance criminelle” dixit Juvence Ramasy

Dans une interview qu’il a accordée à Libération Africa 4, le Dr Juvence Ramasy, enseignant chercheur à l’université de Toamasina a mis à nu les divers trafics qui agitent Madagascar. Il affirme que le trafic est maintenu par un hub où l’Etat joue un rôle au premier plan, des entreprises locales et internationales et des institutions bancaires.

Questionné par Libération Africa 4 sur les trafics qui agitent Madagascar, le Dr Juvence Ramasy, enseignant chercheur à l’université de Toamasina  affirme qu’il y a une gouvernance criminelle qui s’est installée dans le pays après le coup d’Etat de 2009. Cela inclut bois de rose, zébus,  corail noir,  tortues,  pierres précieuses et autres.  Pour celui-ci, des entrepreneurs de l’insécurité tirent les premiers bénéfices de ces divers trafics installant Madagascar dans un hub de trafics à l’échelle régionale et internationale. Il s’agit d’entrepreneurs issus des milieux économiques mais également politiques afin d’avoir une « autorisation » ou alors une « protection ». La corruption y joue un rôle prépondérant et permet ainsi de bénéficier de la protection d’une partie des forces armées, des gendarmes.

Cette économie politique de la dépendance est entretenue par des élites criminelles (entrepreneurs nationaux et étrangers) qui en tirent profit, inscrivant ainsi Madagascar au sein d’un hub de trafics autant régional qu’international. En effet, ces derniers opèrent tant à l’échelle locale que nationale (bois de rose aux Comores, Maurice, Chine, Allemagne et États-Unis ; pierres précieuses au Sri Lanka, Thaïlande, République Démocratique du Congo et Dubaï ; zébu (Comores, Chine,) ; corail noir (Chine) ; trafic d’ossement, etc..

En fait, Madagascar constitue un terrain propice au développement d’activités illicites en raison de la faiblesse de ses forces de sécurité (manque d’équipement, volonté des gouvernants) et par la porosité des accès à l’île. Nous sommes face à un système économique « non régulé » où les activités économiques contournent la régulation économique de l’État et n’appartiennent pas à un domaine distinct de l’économie dite formelle.

D’après le Dr Juvence Ramasy, compte tenu du fait que Madagascar soit inséré dans un hub de trafics à l’échelle régionale et internationale, les divers trafics s’opèrent dans diverses régions du globe. Les quantités d’or qui sortent illégalement de Madagascar sont estimées à 2 tonnes par an et vont principalement à Dubaï, à Maurice, en Asie. Elles passent notamment par les Comores avant d’arriver à Dubaï.

Le trafic de « saphir blanc » va à l’encontre des traditions malgaches. Il concerne la quasi-totalité des régions de l’île. Celui-ci irait dans une usine de transformation dans la capitale, Antananarivo d’après un ancien commandant de la Gendarmerie nationale, a affirmé le Dr Juvence Ramasy et servirait également comme « emballage » afin de dissimuler la drogue, les pierres précieuses et passer les contrôles douaniers en direction notamment de l’Afrique du Sud. En effet, les composants chimiques du squelette humain comprennent du phosphore qui n’est pas détectable au rayon X.

Madagascar constitue aussi une plaque tournante au niveau de l’océan Indien pour le trafic de drogues dures en direction de la Réunion, Maurice et Mayotte. Ces drogues proviennent d’Amérique Latine (cocaïne) et du Pakistan (héroïne) après avoir transité par l’Afrique du Sud et le Kenya.

Cette place de hub ne peut être maintenue que par un rôle de premier plan joué par l’État (élites politiques, justice, forces armées), des ramifications à l’échelle internationale, un fort degré de corruption entretenue par des entreprises locales et étrangères ainsi que la participation d’instituts bancaires qui facilitent la circulation des flux financiers illicites. Par ailleurs, les campagnes électorales nécessitent désormais des fonds importants et les élites économiques investies dans ces activités criminelles permettent d’alimenter les caisses noires des candidats. Cela est facilité par une loi sur les partis politiques trop vague en termes de financements et l’inexistence de telles dispositions sur le financement des campagnes. La contrepartie de telles manœuvres sera l’accès à certain marché, une protection pour la perpétuation du « commerce ».

L’ensemble de ces activités ne serait pas possible sans une législation malléable et donc contradictoire, et des décisions politiques facilitant et encourageant leur prolifération. De plus, la violence privée (cas des Dahalo) permet le développement de telles activités qui engendrent de substantiels revenus permettant des investissements légaux qui s’apparentent bien souvent à du blanchiment notamment dans l’immobilier dans la capitale ou alors en investissant dans la vanille. Cette violence illégitime se confond parfois avec la violence publique légitime. L’État voit ainsi son monopole de la violence « légitime » contesté par d’autres acteurs dans les « zones rouges ». Madagascar a été classé en tant qu’État fragile par la Banque mondiale en juillet 2013 et par la BAD en mai 2014.